Hier soir sur la Piazza Grande devant près de huit mille personnes, le cinéaste franco-grec a été couronné pour l’ensemble de son œuvre.
Le visage de l’élégant Costa-Gavras, 89 ans, s’imprime sur le grand écran de la Piazza Grande. Le cinéaste avance tel un chat sur le tapis rouge ne se sachant pas encore regardé par près de huit mille personnes. Au Festival de Locarno, qui fête jusqu’à demain soir sa soixante-quinzième édition, la tradition veut que, dès la nuit tombée, une projection en plein air se déroule sur la grande place de la cité lacustre suisse. C’est également le moment des célébrations. La silhouette du réalisateur de Z, L’Aveu, Amen ou encore Aduts in the Room, se reflète donc sur le grand écran entrainant un flot d’applaudissements. Costa-Gavras gravit les marches et reçoit le félin d’honneur des mains de Giona A. Nazzaro, le directeur artistique de Locarno. Ici l’animal totem est un Léopard. Costa-Gavras dans un italien presque parfait remercie les organisateurs et le public. Sobre. Humble. L’œil pétille. Une anecdote sur la genèse de son premier long-métrage, Compartiment tueurs (1965) que le public s’apprête à (re) découvrir et puis s’en va.
Matt Dillon, Jason Blum et Kelly Reichardt célébrés à LocarnoMister Costa, Docteur Gavras
Quelques heures plus tôt, le cinéaste franco-grec, par ailleurs président de la Cinémathèque française, recevait la presse dans les salons de l’hôtel Belvédère qui surplombent le lac Majeur. L’image du cinéaste engagé qui lui colle à la peau entraîne forcément des questions sur les troubles du temps présent. Que peut un artiste face au chaos du monde ? Réponse de l’intéressé : « Un cinéaste est d’abord un raconteur d’histoires. Il a en cela un pouvoir énorme sur le réel donc avec le monde qui l’entoure. Et qu’est-ce qui nous entoure aujourd’hui, sinon l’argent et la religion ? Bien-sûr il en a toujours été ainsi mais dans les années soixante, par exemple, nous avions la possibilité de choisir des chemins de traverse, d’aborder la vie différemment. Aujourd’hui cette liberté a été étouffée. Les courbes économiques dictent plus ou moins directement nos existences. »
Costa-Gavras éternel humaniste, artiste en alerte, au point, peut-être, d’éclipser la richesse d’un cinéma qui aime aussi à se jouer des formes d’un art pluriel. Dans le catalogue du Festival, Giona A. Nazzaro le définit ainsi : « Cinéphile et cinéaste passionné, doté d’un double regard, profondément américain dans ses articulations spectaculaires, mais irréductiblement européen dans sa capacité à penser les clairs-obscurs des doutes et des incertitudes... » Mister Costa et docteur Gavras.
Perte de repères
Le dernier long-métrage du cinéaste date de 2019. Adults in the Room, revenait sur la crise grecque. Pour l'heure, Costa-Gavras développe une série dont le sujet reste secret. « L’écriture d’une série est un exercice particulier et je ne suis pas encore sûr d’aller au bout. Le format sériel permet un éventail très large de possibilités, c’est un avantage et en même temps un piège. La profusion de personnages, de péripéties peut vous engloutir. Un long-métrage offre, au contraire, des contours plus précis, un début, une fin. Avec une série, j’ai l’impression que tout peut continuer indéfiniment... »
Quelques points de suspension et le cinéaste-frondeur revient à la charge : «... J’ai un peu ce même sentiment avec les nouvelles technologies, comme les téléphones portables, qui permettent de faire un nombre de choses incalculable. Je n’ai rien contre mais c’est difficile de savoir utiliser ces outils intelligemment, d'en tirer le meilleur profit. Quand les directions sont multiples, je perds mes repères. »
Quant à l'avenir de son art, pour le cinéaste et président de la Cinémathèque, il ne peut se trouver qu'à un seul endroit: "La salle de cinéma et pas ailleurs!"
Avec ce Léopard d'honneur, Costa-Gavras succède à Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Leos Carax, William Friedkin ou encore Michael Cimino.
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