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Après les tueurs à gage de La Bande de Jotas et le héros suicidaire de Poulet aux prunesThe Voices est l’histoire d’un tueur en série : conjurer la mort par la fantaisie, c’est une obsession ?Le seul sujet obsédant est la mort. C'est une injustice que je ne peux pas accepter. Les années passent et on acquit grâce au temps et aux expériences un certain savoir vivre. Et bien, dès lors que l'on apprend comment faire, on passe l'arme à gauche.  C'est tout de même un scandale. "Eh non ce film ne ressemble pas à un film de Marjane Satrapi" pouvait-on lire dans la bande-annonce de La Bande de Jotas. Ca pourrait aussi être l'accroche de The Voices, et de Poulet aux prunes d’ailleurs : vous êtes contre le confort ?C'est surtout que je m'ennuie assez rapidement des choses que je fais. J'ai besoin d'avoir peur pour pouvoir travailler: "Oh! Mon Dieu! Comment je vais faire?". Le moment où je me pose cette question est le plus intéressant puisque je dois faire appel à des coins de mon cerveau que je n'ai pas l'habitude d'utiliser. Je ne suis malheureusement pas éternelle donc pour le temps qu’il me reste, je veux essayer tout ce que je peux pour ne pas avoir de regrets juste avant le dernier pet. En ce qui concerne la réalisation de The Voices, j’ai d’abord adopté le projet avant de l'adapter. J’ai également retravaillé le scénario. J'adorais cette histoire et j'ai interprété ce que je lisais comme je le voulais. C'est vrai que j'ai un monde narratif à moi mais limité à ma personne. Quand on m'offre d'autres mondes, ça agrandit le mien. Vous mêlez la comédie romantique au film de serial killer dans The Voices, le thriller à la comédie potache dans Jotas, Poulets aux Prunes et Persepolis pratiquent de constants changements de ton : vous préférez les patchworks aux monochromes ?Je pense que même si mes films n'ont pas vraiment l'air réaliste je veux être proche de la réalité de la vie. Et il me semble que la vie ressemble plus souvent à un patchwork. The Voices est assez inclassable et donc peu "marketable", c'est une sorte de romcom d'horreur psychiatrique tournée en Allemagne avec des stars hollywoodiennes ... C'est compliquer à monter, un projet pareil ? Le projet était sur une Black List, ce qui à Hollywood veut dire : très bon scénario, mais personne ne veut investir car on ne sait pas comment le vendre. Il me semble qu’il y a 6 ans, Ben Stiller voulait le réaliser mais ce qu'il voulait faire coûtait trop cher. A la fin, j’en ai hérité avec un budget "raisonnable". C'est assez dur mais pas impossible. C'était un projet qui pouvait susciter beaucoup d'enthousiasme comme celui de Jean Labadie (le distributeur français du film) qui a pré-acheté le film à la lecture du scénario. The Voices m'a fait penser à Ted (sans la weed) et à Henry, portrait of a serial killer (version pop), avec des éléments de comédie musicale. Pour Poulet aux Prunes vous évoquiez Sirk. Quel est votre ADN cinématographique ?Il y a deux sortes de films : les bons films et les mauvais films. J'aime les bons films. J'aime Tarkovski et Roberto Rodriguez et tout ce qui se trouve entre. Je n'ai pas de préférence pour un genre particulier. Mais en même temps j'ai une attirance prononcée pour les films aux images soignées. Il m'est souvent arrivé de sortir d'une salle de cinéma et de me dire : "Le film était bien mais qu'est-ce qu'il était laid". Ce qui fait que j'aime Kubrick, Kurosawa et Kaurismaki. Bref tout qui commence par "k". Blague à part, je suis cinéphile et même si je suis très imprégnée par ce que je vois, j'essaie de ne pas copier. Parfois cela arrive malgré vous, tant le cinéma pénètre notre inconscient.  Votre carrière dans la BD vous sert-elle en tant que cinéaste, pour élaborer un storyboard par exemple, ou au contraire tentez vous de l'oublier car ça n'a rien à voir ?Le storyboard est une étape technique de la fabrication d'un film alors que la bande dessinée est un livre où une partie de la narration se fait en images. Je ne fais pas de storyboard. Mais savoir dessiner est très utile quand on veut un costume, un décor ou un angle particulier. Vos films ne sont jamais tournés en France, mais en Espagne, Autriche, Allemagne... Comment l'expliquez vous?Je ne sais pas pourquoi. C'est une histoire de hasard. En même temps ce n'est pas vrai ! Persepolis je l'ai fait à 100% à Paris!Vos personnages sont souvent solitaires et rêveurs, vous vous reconnaissez en eux ?Je suis assez solitaire. Un poème persan dit : "L'invité est aussi cher que la respiration. Mais comme elle, il vous étouffe si il entre et ne ressort plus." J'aime beaucoup la compagnie des autres mais je suis aussi très contente et comblée quand je suis seule. Rêveuse, je ne sais pas. Je me vois plus comme GI Joe. Après Catherine Deneuve dans Persepolis (et Sean Penn, Iggy Pop et Gena Rowlands pour la version US !), Maria de Medeiros dans Jotas ou Isabella Rossellini dans Poulet aux Prunes, voilà Ryan Reynolds dans The Voices. Vous aimez travailler avec des stars ?Les gens que vous nommez sont des stars car ce sont de supers acteurs et actrices. Ils sont connus pour leur immense talent. Quand on fait un film on veut le mieux du mieux. Et j'ai eu la chance d'avoir des réponses affirmatives de la part de ceux que j'estimais être les meilleurs. Pour Ryan Reynolds, j'aurais adoré pouvoir dire qu'il a tel et tel défaut mais il est vraiment parfait et tout sauf une diva (je le jure). S'il y a un aspect de votre "univers" artistique que vous estimez crucial et que j'ai oublié (si par exemple  je n'ai pas remarqué que vos personnages sont en fait tous gauchers ou végétaliens, ou un autre détail ou anecdote qui définirait votre manière de faire des films), c’est le moment de le dire.Il y a un truc mais je ne le dirai pas. Interview Eric VernayThe Voices avec Ryan Reynolds, Gemmar Arterton et Anna Kendrick sort le 11 mars dans les salles