La série culte a 20 ans !
En novembre 2015, Malcolm était enfin disponible en intégrale DVD. Alors que la série culte, qui n’a pas volé sa réputation, fête cette semaine ses 20 ans, nous repartageons notre lettre d'amour à la famille déjantée. Après cette farce insolente et sensible, la comédie familiale n’a plus jamais été la même à la télé. Jusqu’aux récents succès du genre.
Malcolm : quand Hal et Lois se retrouvent, 13 ans après !Vous vous souvenez quand pour s’amuser en famille à la télé, on n’avait pas vraiment d’autre choix que de compatir aux déboires d’un bon papa dépassé par sa turbulente progéniture mais pouvant heureusement compter sur une compagne aimante, voix de la raison du foyer (Notre belle famille, Papa Bricole, La vie de famille…) ? Ou au pire, par une gouvernante énamourée, voix de canard de la maisonnée (Une nounou d’enfer) ? Un univers balisé et rassurant, où l’adversité/la modernité finissait toujours par être circonscrite en un retour triomphal à des rôles et valeurs traditionnels. C’était le bon temps des sitcoms américaines tournées en studio et en public, des rires gonflés en post-prod, des "oh !" et les "ah !" de la foule distribuant les bons points aux personnages et du décor quasi-unique de théâtre de boulevard. Aujourd’hui il n’en reste que quelques spécimens en pré-fossilisation à l’image de Last Man Standing sur ABC mais le genre fut vraiment florissant jusqu’au crépuscule des années 90. Son déclin est facile à dater : il remonte à janvier 2000 et l’apparition sur Fox d’une petite comédie familiale d’un genre nouveau, Malcolm.
Hit instantané
Créée par un inconnu, Linwood Boomer, reposant largement sur une poignée de gamins sortis de nulle part et sur deux acteurs adultes peu connus du grand public (Jane Kaczmarek et Bryan Cranston, future star de Breaking Bad), Malcolm aurait tout aussi bien pu passer totalement inaperçue. Sur le papier, elle ne proposait rien de spécialement novateur, narrant les tribulations d’un gamin intellectuellement précoce et avant-dernier né (d’où le titre anglais Malcolm in the Middle) d’une fratrie de garçons faisant tourner en bourrique ses parents. Fox a eu le mérite d’y croire, investissant beaucoup dans la promotion du show en amont de sa diffusion pour un résultat tonitruant : dès son premier épisode, elle rassembla plus de 22 millions de téléspectateurs. Aujourd’hui, Shonda Rhimes, la créatrice de Scandal et Murder, tuerait pour ce genre d’audiences. Mais même à l’époque de la télé grand-messe devant laquelle on se rassemblait encore religieusement, 22 millions, ça faisait vraiment du monde. Tournée en studios (les extérieurs sont cependant bien réels - une maison était louée pour l'occasion), sans rires enregistrés et à la manière d’une série dramatique, Malcolm détonnait. Dans un article d'époque, le New York Times rapporte que dans les semaines qui suivirent son arrivée à l’antenne, les patrons de chaîne croulèrent sous les projets présentés comme étant "dans le ton de Malcolm". Et c’est vrai, la série a fait école. Tout au long de la décennie. Et c’est même encore le cas aujourd’hui.
The Middle est la série qui porte le plus haut cette filiation, jusque dans son titre. Lancée en 2009 sur ABC, cette comédie sur une famille de la classe moyenne résidant dans l’Indiana, cultive comme son aînée une loufoquerie marquée, personnifiée notamment par un personnage de gamin lunaire directement calqué sur l’un des frères de Malcolm, l’introverti Dewey. Même sentiment avec les récentes Fresh off the Boat, Black-ish ou The Goldbergs, que c’est un peu grâce à Malcolm qu’elles ont toutes les trois la latitude de faire entendre entre deux gags leur sensibilité respective : celle d’un fils d’immigrés taïwanais fou de hip hop se souvenant de son enfance 90’s en Floride, celle d’un père de famille d’aujourd’hui réalisant que sa famille s’embourgeoise et qu’elle perd peu à peu son identité noire, enfin celle d’un gamin de la classe moyenne grandi dans les années 80 en Pennsylvanie. Trois séries drôles, mais en même temps touchantes, porteuses d’un vécu totalement absent des grosses comédies familiales télé des années 90.
Cartoon réaliste
Malcolm a apporté un peu d’air à un genre qui s’essoufflait. Littéralement, en aérant le cadre : à la différence d’un Madame est servie, tourné à plusieurs caméras pour gagner du temps au montage, la réalisation en caméra unique permit à Linwood Boomer de tendre vers un peu plus de réalisme dans son show. Malcolm demeure une farce aux accents cartoon dans un esprit Denis la Malice ou Maman j’ai raté l’avion avec ses sales gosses furibards transformant régulièrement le quartier en zone de guerre. Mais la photographie, la mise en scène et le montage ouverts à l’expérimentation formelle (les trips intérieurs de Dewey) et narrative (Malcolm brisant régulièrement le quatrième mur pour s’adresser au spectateur au milieu d’une scène) sont celles d’un petit film et tranchaient avec la théâtralité outrancière et la rigidité limite cadavérique des productions d’alors.
Elle n’était certes pas la première comédie télé à s’affranchir ainsi des contraintes de la mise en boîte en studio (c’était le cas de la série MASH par exemple) mais elle confirma en tout cas l’envie partagée par les créatifs et par le public de proposer des formats un peu plus variés dans la foulée par exemple d’un Sex and The City sur HBO. Malcolm ouvrit la brèche de la caméra unique sur les grandes chaînes et pava la voie pour des comédies familiales un peu plus aventureuses comme le hit en caméra vérité Modern Family. Elle enhardit même Fox au point de mettre en orbite en 2003 la plus méta et la plus délirante des comédies familiales que la télé ait enfanté, Arrested Development.
Eloge du système D
Au-delà de sa forme, Malcolm conféra également une nouvelle dynamique au genre par son discours moins convenu sur la famille, moins moralisateur que par le passé. La série est même gentiment libertaire. Malcolm le surdoué n’est pas le dernier à se joindre aux coups pendables imaginés par ses frangins Reese, la brute écervelée, ou Francis, l’aîné insolent expédié en pension militaire. Des petits monstres jamais vraiment repentants. En retour, Lois et Hal, les parents, ne font pas semblant de savoir les gérer au nom d’un hypothétique don inné pour l’éducation. L’autoritaire Lois est un peu la seule à tenter d’endiguer le carnage. Craint par ses mômes, elle est honnie par les voisins, mais phénomène assez rare dans un programme de ce type, Linwood Boomer ne la montre jamais s’en excuser. Hal et elle de manière générale se contrefichent de ce que pensent les autres de leurs choix de vie. Sans jamais émettre le moindre jugement sur cette tribu, Boomer, qui s’est inspiré de sa propre enfance, a clairement préparé le terrain pour Greg Garcia. Cet auteur de comédie a mis en scène la classe populaire américaine tout au long des années 2000 dans des séries loufoques et inventives. Après My Name is Earl et son héros lancé dans une opération de réhabilitation karmique, Garcia a avec Raising Hope et sa famille de prolos soudés pour élever la quatrième génération dans le système D le plus total, pris avec panache entre 2010 et 2014 le relais de Malcolm.
Mais le mieux placé pour faire vivre cet héritage, ce serait encore Linwood Boomer lui-même. Cet ancien acteur qui fut à l’écran l’époux de Mary Ingalls dans La Petite Maison dans la Prairie n’a plus rien créé de vraiment notable depuis l’arrêt de son bébé en 2006, même si on le retrouve parmi les producteurs de The Mindy Project de Mindy Kaling, une autre chouette comédie tournée en caméra unique. Son complice Bryan Cranston le convaincra peut-être de reprendre la plume pour imaginer une réunion de Malcolm et ses proches. Le comédien a dit dans la presse qu’il ne serait pas contre réendosser les habits de Hal. Et l’ex-enfant star du show Frankie Muniz n’a pas vraiment mieux à faire, lui qui figure régulièrement dans les "Que sont-ils devenus ?" qu’on peut lire sur le web. Le retour de la série serait une excellente réponse au revival annoncé sur Netflix de La Fête à la Maison, tragique vestige, elle, de la sitcom familiale à la papa. Le monde a clairement plus besoin d’un "Malcolm in the Mid-Life Crisis" comme l’appelle déjà de ses vœux Muniz que des vannes pourries de Danny Tanner et de Oncle Jesse.
Malcolm, coffret saisons 1 à 7 chez Showshank Films.
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