- Fluctuat
C'est évident, Emir Kusturica fait du cinéma de manière couillarde. C'est un geste qu'on lui reconnaîtra sur l'ensemble des films qu'il a réalisés. Il entraîne radicalement ses personnages dans une histoire à vive allure, il y va vraiment tant dans ses dialogues que dans ses mouvements de caméra, peu de champs contre-champs et beaucoup de plans séquences. De même il fait danser ses protagonistes toujours comme si c'était la dernière fois, il les fait courir à perdre haleine fuyant la guerre ou un ennemi intime.
Ici personne n'a le droit de se soustraire au mouvement collectif sous peine de sortir de l'écran, personne n'échappera à l'ardeur de la fanfare sous peine de rater le train. Car il y a bien ici une histoire ferroviaire. Luka est ingénieur, il a construit un chemin de fer destiné à relier Bosnie et Serbie, afin de faciliter le tourisme dans la région. Il a entraîné là sa femme, une ancienne cantatrice devenue folle, et son fils, promis à une carrière footbalistique. Dans les villages alentours la vie semble immuable : le maire est corrompu, les jeunes sortent en boîte de nuit et rêvent d'être champion de foot avant de se casser la gueule sur les stades, les ours décapitent les paysans sur leur chemin, et l'âne est toujours aussi buté. Effectivement c'est un miracle que la vie continue, car on serait à leur place, on aurait plutôt envie de fuir.Pourtant il y a la lumière et la beauté des paysages, les montagnes, les plaines et les forêts, un chez soi qui explique l'attachement à cette terre. Luka est plein d'espoir : son fils qui est appelé pour faire son service militaire ne fera pas la guerre, tout simplement parce que celle-ci n'aura pas lieu. Fol espoir ou aveuglement, le premier jour du conflit notre ingénieur se retrouve seul : sa femme est partie et son fils mobilisé est fait prisonnier. Jamais Kusturica ne semble rentrer vraiment dans les tenants politiques de cette guerre. Il la montre par le petit bout de la lorgnette, en insistant sur les histoires et les catastrophes personnelles, en montrant combien ces gestes sont irréels.Ballottés les personnages traversent le champs à vive allure comme s'ils voulaient échapper à ce lieu tout en restant chez eux. « Sur la totalité du film, je crois qu'il y a 80% d'extérieurs et, même quand la scène se passe en intérieur, on voit au dehors par la fenêtre. On a souffert pour y arriver, parce qu'on a tourné dans un endroit très peu ensoleillé, tout en donnant l'impression d'un endroit qui pourrait passer pour la Californie au coeur des Balkans. » confiait Kusturica.Bien sûr il y a la belle énergie de ce film qui va à 2000 à l'heure à grand renfort de fanfare. Cependant au bout d'un certain temps, on se surprend à se demander à quoi servent tous ces gestes désordonnés. Que dit finalement le réalisateur ? Que dans la guerre il y a des méchants et des gentils ? Car Luka est bientôt le gardien d'une otage qu'il devra échanger contre Milos. L'otage est une ennemie, une musulmane. Pourtant elle porte le nom des fées, elle est belle et son sourire fait fondre. Bientôt tous deux tombent amoureux. Fidèle à sa poésie excentrique et facile, le réalisateur en rajoute. Il fera par exemple voler ses héros dans un lit à travers la steppe. En pense alors au réalisateur Baktiar Khudojnazarov qui signa Luna Papa et Le Costume. On se souvient de l'onirisme léger qui émanait de chaque plan. Au contraire, ici nous sommes dans la surenchère de situations excentriques, ce qui donnent aux protagonistes « l'occasion de perdre la tête » comme le déclarait le cinéaste.... Pourtant la situation restait suffisante et l'artifice semblait inutile. A trop vouloir nous séduire et nous emmener dans le tourbillon de ses envolées slaves, Kusturica rate son but premier et finit par nous fatiguer. Dommage.La Vie est un Miracle
Un film d'Emir Kusturica
Avec : Slavko Stimac (Luka), Natasa Solak (Sabaha), Vesna Trivalic ( Jadranka), Vuk Kostic (Milos).
Sortie nationale le 14 mai 2004[Illustrations : DR Mars Distribution]
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- Dossier Cannes : compte-rendu de l'ouverture et de la seconde journée, chroniques des films projetés (La Mauvaise éducation, 10 on Ten, Troie, Nobody knows, Kill Bill volume 2)
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