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En pleine guerre d'Afghanistan, au milieu de nulle part, un fantassin (Pascal Elbé) pose le pied sur une mine. S'il bouge, il explose. Huis-clos dégraissé dans la lignée de Buried, Piégé est le premier long-métrage de Yannick Saillet. Qui nous a raconté les dessous du tournage difficile d'un film de guerre français -plus qu'un genre, une exception dans le paysage ciné actuel.Pourquoi faire un film de guerre pour un premier film ?Je ne me suis pas posé la question comme ça. j'avais envie de raconter l'histoire d'un personnage et après j'ai trouvé le cadre, le genre. Après, c'est vrai que je viens d'une famille de militaires. Mon père était dans l'armée de l'air… D'allleurs, il m'a engueulé parce que j'ai fait un film sur l'armée de terre. Je voulais raconter l'histoire d'un homme qui pose le pied sur une mine dans une situation de guerre. Sans que ce soit vraiment un film de guerre. OK, il y a une grosse scène de combat au début, mais on l'oublie assez vite. Qu'est-ce que cette situation va révéler sur lui ? Comment va-t-il être transformé ? Je trouve aussi que la situation de guerre est très photogénique. Mais non, je ne me suis pas dit que je voulais faire un film de guerre.On ne voit pas tellement de films de guerre en France. Et quand il en sort ils peuvent ressembler à un gros clip de recrutement façon Les Chevaliers du Ciel… Vous avez approché l'armée pour produire le film ?Non. Notre budget était suffisamment petit, et notre histoire était suffisamment intimiste pour ne pas avoir besoin de toute la logistique de l'armée. On ne s'est pas plus posé la question. On ne fait un film à la gloire de l'armée ou contre l'armée. On n'a pas demandé leur aval ou leur caution...On voit au générique le nom de René Saillet en tant que "conseiller militaire"…Oui, c'est mon père. Il n'est pas venu sur le tournage mais il m'a conseillé sur le scénario, sur le type de matériel… On a tourné au Maroc : la France leur a vendu du matériel militaire qu'on a pu utiliser. Il y a forcément des erreurs ; par exemple, les blindés marocains ont six roues alors qu'en Afghanistan ils utilisent des blindés à quatre roues. La radio est aussi un ancien modèle, utilisé plutôt il y a cinq-six ans… Quelqu'un de très pointu pourrait nous reprocher des trucs mineurs. On n'est pas justes à 100% mais on est au plus juste sur ce qu'on a envie de raconter. Mon père m'a trouvé la documentation pour la couleur des blindés, afin de repeindre les marocains en français. Les chefs de poste -armuriers, costumiers- ont pris le relais. Après c'est à moi de faire le tri entre la réalité et les éléments dont j'ai vraiment besoin pour mon histoire.Vous ne vous êtes pas senti limité par le réel.Non, parce que le réel je le maîtrisais, par ma volonté de raconter une histoire et mon background de fils de militaire. Le but principal est de donner au spectateur l'impression que ça se passe comme ça. Le plonger dans la peau du personnage principal. Au début il y a un accrochage, ça tire beaucoup, et on ne voit jamais l'ennemi. Quand on discute avec des militaires, on réalise qu'en 2013 on n'a plus les corps-à-corps du siècle dernier. On voit très peu l'ennemi, on tire à peu près dans une direction, vers une zone. Je parlais avec des militaires qui me disaient : "je ne sais pas si j'ai tué quelqu'un. J'ai tiré dans une certaine direction, mais je ne sais pas."Vous avez montré le film à des militaires ?A des associations. Qui ont relevé des erreurs de matériel. On m'a surtout dit que le film n'était pas à la gloire de l'armée ou de la guerre… Piégé n'est pas un portrait à charge. Je filme la situation de cet homme-là. Pourtant le film, très abstrait, se situe dans un cadre temporel et géopolitique précis. Dans ce cas vous auriez pu faire l'économie de ne pas nommer le conflit…J'avais quand même envie de placer le film dans une situation que le spectateur connaît. Il allume la télé et voit que l'armée française est en train de partir de l'Afghanistan… Déjà que le film est désincarné, brut, straightforward… Comment on pourrait traduire straightforward ? Je n'ai pas d'autre mot.Euh… Je ne sais pas. C'est comme fuck. Comment le traduire ?Oui, il y a tellement de sens pour fuck, entre l'intonation et la situation, ça peut dire beaucoup de choses.Straightforward, donc.Oui. Pour revenir à ce que je disais, le spectateur arrive donc avec les images qu'il a en tête sur l'Afghanistan…Je me suis dit que le personnage pourrait être une métaphore de la situation de l'armée française en guerre dans les pays lointains. Le pied sur une mine, s'il bouge il explose, et en même temps sa mort est une fatalité…Moi j'ai vu ça sur un autre plan. Quoi qu'il arrive, quel que soit le chemin qu'on choisit dans la vie, on va mourir. Qu'est-ce qu'on fait dans le temps qui nous est imparti ? Il a une dizaine d'heures devant lui… Nous, dans notre vie, on a aussi une échéance. Qu'est-ce qu'on va régler ? C'est ça ma métaphore. Sur un plan humain et personnel. Le spectateur doit se sentir impliqué. Je ne raconte pas l'histoire d'un pays qui va s'enliser.En parlant d'humain, il n'a pas trop été déçu Pascal Elbé quand vous lui avez dit "tu vas jouer dans un film de guerre, mais tu vas passer tout le film debout sans bouger…" ?Il a pris le film comme une histoire et pas comme un challenge d'acteur. C'était ça qui le motivait. On avait une histoire à raconter. Le tournage a été entre "difficile" et "un enfer". Le dernier jour, on a quand même été fiers de survivre à ça. A ce point ?On a simulé des chaleurs extrêmes dans le désert marocain en janvier, quand il faisait très froid. De 8 à 15 degrés en journée, et dès que le soleil passe derrière la montagne, on perdait 20 degrés… Pascal était en t-shirt par 4 degrés, filmé en plans très larges donc personne pour le réchauffer entre chaque prise. On a eu une tempête de sable -c'est pas Lost in La Mancha, mais on a perdu des tentes de maquillage et de costume à cause du vent. Malheureusement, le vent n'était pas assez photogénique pour pouvoir en profiter. C'était assez extrême, et très masculin. C'est pour ça que quand l'actrice Caroline Bal est arrivée sur la fin, on s'est dit qu'on voyait le bout du tunnel. Les conditions étaient difficiles, et on en tirait profit. Chaque changement de météo, de lumière changeait le décor. l'évolution de lumière fait passer le temps, et permet de ne pas lasser le spectateur. Vous auriez pu aussi tourner ailleurs qu'au Maroc pour éviter les contraintes.Au Maroc les équipes sont grandioses. 90% de l'équipe était marocaine. L'infrastructure cinéma est très pointue -ils ont bossé avec Oliver Stone pour Alexandre, Ridley Scott pour Kingdom of Heaven… De plus, on était pressé par le temps : il fallait tourner entre janvier et février. notre financement pour le financement de notre film.En parlant de financement, on fête l'anniversaire de la tribune de Vincent Maraval et on attend la publication du rapport Bonnell sur la rentabilité des films français (NDLR : l'interview a été réalisée le 7 janvier)… On dit que seulement un film sur 10 est rentable en France. Vous en pensez quoi ?Je ne connais pas encore la rentabilité de mon film (rires). C'est compliqué comme question. Des films coûtent trop cher structurellement. Un film qui fait 1 million entre 1,5 million d'entrées -ce qui est déjà énorme- et qui n'est pas rentable parce que en fait il aurait dû faire 3 millions, je trouve ça étonnant. Il faut réajuster les notions de succès populaire et succès financier. Mais bon, comme je n'ai réalisé qu'un long-métrage, je suis encore débutant.Vous n'êtes pas débutant. Vous réalisez des clips depuis vingt ans.J'ai de l'expérience, mais j'ai l'impression d'avoir tout du recommencer. Je suis arrivé à Paris à 17-18 ans, en janvier 1987… Il ne s'est pas passé un jour sans que je me dise que j'allais faire un long-métrage. Ca a pris 27 ans. A l'arrivée, je ne voulais pas faire un gros clip : j'en ai tourné avec plus de plans en cinq minutes que dans tout Piégé. Là, je voulais prendre mon temps, essayer de faire du cinéma…Vous avez quand même réussi à placer Jean-Jacques Goldman dans le film.A un moment il y avait de la place pour une chanson, alors j'ai fait un clin d'oeil à quelqu'un qui m'a beaucoup aidé.Interview Sylvestre PicardPiégé sort aujourd'hui en salles. Bande-annonce :